Une fois le roman, refermé, on a le sentiment puissant d’avoir vécu une expérience hors-norme. Le lecteur a navigué à travers 800 pages dans un monde de malades, qui est aussi une classe bourgeoisie européenne sans volonté , symbole d’une époque en glissement vers la guerre 14. Le paradoxe de Thomas Mann est d’avoir placé un jeune homme sain dans un monde à l’agonie dans ce sanatorium-Titanic placé au milieu de glaces étincelantes, cerné de massifs neigeux et forestiers dans un climat qui n’a plus les repères habituels. … Mann place un garçon sensible qui cherche à se construire dans une société qui se déconstruit. Un héros en formation dans un monde en destruction. Un individu en quête de repères est jeté dans un univers qui les oublie , ces repères moraux, les uns après les autres .L’auteur, implacable, fait la minutieuse comptabilité des pathologies de ce milieu en désagrégation. Doublement mouvement. Distorsion géniale d’un personnage en quête de sagesse et d’équilibre dans un monde de fous. D’où ce côté d’humour noir cet aspect grinçant, cette séduction ironique si particulière ,cette acidité grivoise qui va jusqu’au malaise dans ce bal des tuberculeux. livre diagnostic, livre parodique, livre avertissement. Bal avec figures de cire, et marionnettes folles. Et comme pour en rajouter dans les distorsions, Mann choisit de chanter n paysage si immaculé, son harmonie si magnifique, ce décor grandiose des Alpes suisses, avec ses journées d’ensoleillement. Panorama et décor en scope de luxe pour une comédie grinçante, avec personnages grotesques, triviaux, mediocres, burlesques, souvent touchants, mais avec un drame amoureux wagnérien qui se réduit vers la fin à une histoire petite bourgeoise vaudevillesque ,avec l’irruption de Peeperkorn. Certains personnages guidés,comme Naphta par de sombres fantasmes une passion morbide antihumaniste, annoncent les membres des gouvernements totalitaires . . Les médecins eux-même demeurent d’inquiétantes blouses blanches avides de pouvoir et qui entretiennent certains malades dans une trompeuse progression de leur mal, doublée d’une escroquerie financière. Hans Castorp, au fond, n’avait qu’une grosse bronchite chronique, rien de plus. Sans cesse, sous un récit chronologique faussement linaire, Thomas Mann nous enfonce dans un monde noir où l’on entend sans cesse le glissement métallique du bobsleigh qui emporte des cadavres vers la vallée .Cette société d’oisiveté, de malades en glissement continu vers l’inertie encoconnée cède à dans un romanesque tourbillon d’immoralité devenue banalité et innocence. Femmes vieillissantes sorties d’un Goya , ou jeunes vierges anémiées préraphaelites , l’analyse de Mann, donne l’image d’ un enfer froid. La surprise c’ est que écriture ,avec une fausse objectivité documentaire , suspend en définitive les jugements.les fourberies, les mensonges, les situations équivoques, les lassitudes, la farandole des égoïsmes, finalement, multiplient les interrogation sans réponse. Grande leçon mannienne dans un monde actuel qui privilégie le manichéisme et les jugements expéditifs. »La montagne magique » est un chef-d’oeuvre d’intentions cachées, un peu comme la gravure allégorique de Dürer , « Melencolia » .

Comme « Melencolia » , cette « montagne magique »(de magie noire faustienne) intègre, de manière synthétique, une multiplicité d’éléments symboliques. Ces objets symboliques se parent également d’éléments affectifs qui renforcent les contrastes destinés à susciter notre fascination. l’auteur n’annonce-t-il pas aussi toutes les maladies qui seront attachées à une société de loisirs qui va se s’auto dévorer dans une sorte de pente dionysiaque?
Le Temps est le thème principal, affirme Mann, dans une conférence à Princeton. Ce temps s’émiette, se dilue tellement que, hors des montres et des calendriers, de telle sorte que chaque instant abrite une éternité. C’est Philippe Lançon dans « Libération » qui a le mieux résumé : » On plonge avec eux tous dans la maladie comme en enfance, dans la littérature comme en maladie, dans l’amour comme dans un rêve interdit et dans l’Histoire comme dans un cauchemar autorisé. C’est un manège en altitude qui enchante l’univers de ce patient si particulier, prenant tout à corps et à cœur, qu’est le lecteur. Il le fait baigner dans une matière fluide, collante et incertaine, une matière à laquelle échappent par leurs activités et leurs agendas les bien portants, les actifs, ceux qui croient toujours qu’un «retour à la normale» est possible, ceux qui ne lisent pas. Cette matière – cette lymphe – est au cœur du livre. Elle fait l’objet de réflexions volontairement répétées. C’est le temps. »
« Combien de fois Hans Castorp s’était-il entretenu avec feu Joachim de cette grande confusion qui mélangeait les saisons, qui les confondait, qui privait l’année de ses divisions et la faisait paraitre brève avec lenteur, ou longue dans sa rapidité, de sorte que selon une parole de Joachim avait prononcé voici fort longtemps avec dégout, il ne pouvait plus du tout être question de temps. Ce qui en réalité était mélangé et confondu dans cette grande confusion, c’étaient les impressions ou les consciences successives d’un « encore » ou d’un « déjà nouveau » , et cette expérience compliquée était une véritable sorcellerie par laquelle Castorp ait été séduit … »

Mais la nuit ?
« La nuit était la partie la plus difficile de la journée, comme Hans se réveillait souvent ; il lui arrivait de rester des heures sans pouvoir s’endormir, soit que sa température corporelle excessive lui donnât de l’entrain, soit que ce mode de vie entièrement horizontal altérât son envie et sa capacité de sommeil. En revanche, les heures de demi-sommeil étaient animées de rêveries pleines de vie et de variété auxquelles il pouvait repenser, une fois éveillé. Et si, le jour, le fractionnement et la diversité du programme faisaient passer le temps, la nuit, l‘uniformité diffuse des heures qui s’écoulaient avaient le même effet. ».Plus loin Mann écrit : »
« A l’approche du matin, il était toutefois distrayant de voir la chambre s’éclaircir et réapparaître peu à peu, les choses ressurgir et se dévoiler, et le jour s’embraser, dehors, dans un sombre rougeoiement ou une joyeuse flambée ; c‘était alors le retour inopiné de l’instant où le masseur frappait énergiquement à la porte, annonçant l’entrée en vigueur du programme de la journée. »
Est-ce un roman de formation dans la tradition germanique classique ? oui dans la mesure où Hans Castorp est constitué sur le modèle du roman « Aus dem Leben eines Taugenichts »vie d’un propre à rien » du classique Josef von Eichendorff .
Autre thème faustien puissant : la lutte pour posséder une âme d’écolier verge par deux pédagogues. Le jeune Hans Castorp,qui ne connait rien que de la technique(il est ingénieur promis aux chantiers navals de Hambourg ) est vierge philosophiquement ,c’est pourquoi il est l’objet de toutes les manœuvres de séduction par le méridional et franc-Maçon Settembrini, et ce Naphta à odeur de soufre lui aussi , tant il représente cette notion germanique de « Unform » « absence de forme » , de néo-romantisme , mélange de volonté de puissance nietzschéenne, de jésuitisme retors et fanatique, de désespoir schopenhauerien, auquel s’ajoute un évident sadisme tiré de la « généalogie de la morale ». Donc, les soubassements philosophiques et idéologiques du roman sont typiquement germaniques et reflètent les aspirations contradictoires de cette Allemagne post bismarckienne qui marqua le jeune Thomas Mann… Mais le personnage assez tardif de Pepeerkon, despote, hâbleur, alcoolique fascinant tous ses auditeurs, prets à les entrainer dans une beuverie infernale et à les soumettre à ses caprices par son charisme brutal est sans doute une autre principale figure faustienne la plus inquiétante puisqu’il a conquis et soumis la Chauchat.
L’autre grand thème est faustien,( non pas parce que Thomas Mann multiplie les références directes ou indirecte au texte de Goethe) c’est la conduite de la belle russe Clawdia Chauchat qui signe un pacte de chair diabolique, tyrannique, pour envouter le héros et enfermer dans l’Eros. La Chauchat à la fois l’émancipe et l’emprisonne. Hans est hypnotisé, subjugué, totalement livré à l’initiation érotique .c’est bien plus important que les leçons de Settembrini et Naphta. Tout ce qui avait été dans l’enfance, pulsions sexuelle refoulées (voir l’épisode ave l’écolier Hippe si important) , grandit et s’étale ici grâce à cette femme -Circé. Dans l’extrait suivant nous découvrons cette femme tout contre Hans quand sa main soutient son chignon tressé: «Non, elle n’était nullement aristocratique, cette courtaude main d’écolière aux ongles taillés à la va-vite – on était même en droit de se demander si le bout des phalanges était vraiment propre ; les cuticules étaient rongées, à n’en point douter. Hans fit la grimace, mais sans détacher les yeux de cette main, et il repensa vaguement à ce que le docteur venait de dire sur les résistances bourgeoises de l’amour… Le bras était plus beau, ce bras mollement plié sous la nuque et à peine vêtu, car le tissu des manches, cette gaze aérienne, était plus fin que la blouse et sublimait d’un simple nuage vaporeux le bras qui, sans aucun voile, eut sans doute été moins gracieux. Il était à la fois délicat, plein, et on le supposait bien frais. Il excluait toute espèce de résistance. » Admirable pacte. Vertige à la fois de l’éros et de la mort, exactement comme dans « la mort à Venise ».La beauté fatale, un être androgyne et étranger, tel un Ange du mal , entraine le héros vers l’abime.On remarquera aussi que ce héros, dans les deux textes, est entouré de bavards pompeux,de personnages grotesques,vulgaires, ou pitoyables que l‘atmosphère maladive déforme et rend trouble.

Tout au long du roman , on admire aussi le fin paysagiste et l’écrivain qui, avec une forme si apparemment si sereine aborde des ambiances troubles avec le subtil trait de fusain du morbide. Et aussi l’ondoyante et féconde suggestion d’une gémellité impossible qui nous renvoie aux éternelles confrontations idéologiques des frères Mann. Extrait : »Hans Castorp et Joachim Ziemssen, en pantalons blancs et en vareuses bleues, étaient, après le dîner, assis au jardin. C’était encore une de ces journées d’octobre tant vantées, une journée à la fois chaude et légère, joyeuse et amère, avec un bleu d’une profondeur méridionale au-dessus de la vallée dont les pacages, sillonnés de chemins et habités, verdoyaient encore gaiement dans le fond, et dont les pentes couvertes de forêts rugueuses renvoyaient le son des clarines, ce pacifique tintement de fer-blanc, ingénument musical, flottait, clair et paisible, à travers les airs calmes, rares et vides, approfondissant l’atmosphère de fête qui domine ces hautes contrées. Les cousins étaient assis sur un banc, au bout du jardin, devant un rond-point de petits sapins. L’endroit était situé au bord nord-ouest de la plate-forme enclose, qui, surélevée de cinquante mètres au-dessus de la vallée, formait le piédestal de la propriété du Berghof. Ils se taisaient. Hans Castorp fumait. Il en voulait secrètement à Joachim parce que celui-ci, après le dîner, n’avait pas voulu prendre part à la réunion dans la véranda, et, contre son gré, l’avait obligé à venir dans le calme du jardin, en attendant qu’ils reprissent leur cure de repos. C’était tyrannique de la part de Joachim. En somme, ils n’étaient pas des frères siamois. Ils pouvaient se séparer si leurs penchants n’étaient pas les mêmes ! Hans Castorp, après tout, n’était pas ici pour tenir compagnie à Joachim, il était lui-même un malade. »
Ce qui étonne le plus dans la fin du livre, c’est l’accélération du malaise qui s’empare du sanatorium et du héros Castorp.
Le docteur Behrens: »Castorp mon vieux, vous vous ennuyez !.Vous faites la gueule, je le vois tous les jours, et la morosité se lit sur votre front. Vous ‘êtes qu’un gamin blasé, submergé d’impressions sensationnelles, et si l’on ne vous offre pas tous les jours une nouveauté de première, vous râlez en permanence. Est-ce que je me trompe ? » Hans garde le silence « tant l’obscurité régnait en lui » précise le narrateur.
Deux pages plus loin : »A en croire les impressions de Hans Castorp,il n’était pas le seul à rester au point mort, il en allait ainsi du monde entier, de « toutes choses » ; autant dire qu’en l’occurrence il avait du mal à distinguer le particulier du général ». depuis la fin excentrique de sa relation avec une personnalité et la deuxième disparition de Clavdia Chauchat, Castorp est démuni. « Le jeune homme avait le sentiment de ne plus être très à l’aise dans ce monde et cette vie qui, d’une certaine façon ,l’angoissaient de plus en plus et allaient de travers ;il lui semblait qu’un démon avait ris le pouvoir, un démon mauvais et bouffon qui, après avoir longtemps exercé une influence considérable, usait de son empire avec un aplomb énorme, fort susceptible de vous inspirer un effroi mystérieux et de vous insuffler des idées de fuite :ce démon avait pour nom l’inertie. » le narrateur ^lisus tard insiste sur le caractère démoniaque, et l’horreur au sens mystique. « Castorp regardait autour de lui… Il voyait des choses fort inquiétantes et pernicieuses, et il savait que ce qu’il voyait là : c’était la vie hors du temps, la vie sans souci ni espoir, le dévergondage à l’activité stagnante la vie morte ». le suicide si inattendu de naphta, les paroles séances assez halucinées de spiritisme, ,la vulgarité des pensionnaires et leurs disputes grandissantes annoncent une « ère de la masse » et des mouvements politiques menant à des déferlements d’énergies inquiétants par leur brutalité . L’antisémitisme est déjà en évidence dans un chapitre prophétique. C’est une de grades leçons de »la Montagne magique », achevé en 1922 :au lieu de décrire si admirablement un monde sur le déclin, comme Proust, T.Mann montre à la fois un déclin de la haute bourgeoisie européenne avant 1914 mais il annonce des « temps déraisonnables » , des fanatismes à venir et l’antisémitisme déjà présente dans l’Allemagne de 1920… Il expose aussi des préoccupations psychanalytiques, et surtout surtout met au centre de tout, le corps !!
Le corps et les relations avec l’esprit, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le psychosomatique.si bien que chaque malade se promène avec dans un de ses poches une « photo d’identité », miniature, réplique d’une radio des poumons. Humour parfait.

Enfin ,la musique ! On la trouve , -on le mesure mieux en allemand- dans une prose fluide,souple, avec de délicieuses remarques narquoises enchâssées dans une certaine solennité, ou une soutenue précision clinique(Mann aurait voulu être médecin) .Les jeux de langage et allusions à tant de maitres allemands sont très difficiles à traduire : ses envolées lyriques symphoniques (voir « la tempête de neige »)ses allitérations, ses métaphores (le chapitre « la nuit de Walpurgis ») et toutes les références au Venusberg, au Tannhäuser, dans l’épilogue. La traductrice Claire de Oliveria a raison de souligner « le dernier chapitre comporte plusieurs allusions à cet opéra Wagnérien dont le héros, toujours subjugué par la déesse et désespérant d’obtenir l’absolution de ses péchés, meurt alors qu’il tentait de regagner « le mont de Venus ».C’est le résumé des tentatives de Castorp approchant les cuisses de la Chauchat. Enfin un des plus beau moments, c’est dans le chapitre « ampleur de l’harmonie » quand Castorp découvre un superbe coffret de bois d’un phonographe avec des multiples disques qui l’accompagnent. C’est la Révélation des Révélations au milieu d’une oisiveté de plus en plus destructrice. Mann déploie un prodigieux savoir sur les fonds de l’âme allemande et de la musique. Castorp s’immerge et s’abandonne comme un bain d’harmonies et d’écoute solitaires .Il écoute tout, de l’opera bouffe aux lieds , et de « Carmen » de Bizet au « Tilleul » de Schubert. même temps fascination, vertige, révélation d’un outre-monde morbide et enchanté, bois sacré et ultime refuge d’un héros que la musique ré-enchante au bord de l’illimité et de la souffrance solitaire .
Les historiens et critiques littéraires ont mis des noms sur certains personnages :de la Chauchat à ce camarade d’école, Hippe, qui symbolise les tentations homosexuelles de Mann. A cet égard , il semblerait que c’est le peintre Paul Ehrenberg, ami de longue date, qui fut « la » tentation homosexuelle. Dans une lettre à son frère Heinrich, Thomas nous livre une clé à propos de la la frémissante et ambivalente profondeur de son œuvre : »Il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, pas du moins dans un sens ordinaire, mais d’une amitié, une amitié-ô surprise- comprise, partagée, récompensée, qui, je le confesse, revêt à certaines heures, surtout dans les moments de dépression et de solitude, un caractère un peu trop douloureux (..) Mais pour l‘essentiel, c’est une surprise joyeuse qui domine devant une rencontre telle que je n’en attendais plus dans cette vie ».

Hors sujet… »Amok » le chef-d’œuvre de Stefan Zweig publié en poche dans une nouvelle traduction du bon germaniste Olivier Mannoni. robert_laffont
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Merci beaucoup Phil. Mon modeste allemand ignorait cet usage, et les dictionnaires ne m’ont pas permis de le retrouver. Or, comme disait l’Autre, « ce que je sais le mieux, c’est mon commencement »
Bien à vous.
MC
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me réjouis de votre question, dear Mr Court. (comme Panoramix lorsque les gaulois accostent dans ce port qu’on leur dit se nommer le Pirée..je crois)
geehrter, en usage aujourd’hui pour « cher »
verehrter, suranné, pour « cher » avec la nuance de « vénéré » ou et d’une plus grande proximité avec le correspondant. la particule « ver » désigne le temps qui a passé
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Verheter, ou Geherter?
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belle idée que cette relecture, merci verehrter Paul Edel
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Tiens, ça marche à nouveau!
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Vraiment une agréable lecture, merci Paul Edel!
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Beaucoup de plaisir à lire ce billet et ses commentaires …
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C’est un topos du romantisme allemand. Je ne serais pas surpris de le trouver dans les Mines de Falun. Sans parler de ce qu’Anselmus entend comme prophétie au début du Vase d’Or « Tu finiras dans le cristal , fils de Satan dans le cristal! » Il y aurait une étude à faire sur ces images là.
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Sans lien direct, trouvé cette phrase de Novalis:« La nature est une ville magique pétrifiée. »c’est un peu comme ça que Mann décrit la Nature autour du sanatorium.Une image cristalline .
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Je notais simplement que la situation est à l’inverse, Tannhäuser étant rédimé par la mort d’Elisabeth au moment ou le Vénusberg va le reprendre. En revanche, il y a pour les deux, Castorp et le héros Wagnerien, la lourdeur du poids des institutions. L’Eglise pour l’un, la Montagne et le sana pour l’autre. Castorp est un Tannhäuser malade, un chevalier qui ne peut pas sortir de la bulle du Vénusberg, d’où l’inévitable rencontre avec Chauchat et peut-être la référence au français des cours d’amour dans la scène de déclaration. Le chevalier doit vivre hors du temps et de l’espace, sans figure rédimante. En élargissant, les amis eux peuvent être vus comme des sortes de substitut du Wolfram von Eschenbach wagnérien. L’Ami parfait qui n’a qu’a chanter.
J’ajouterais que le programme musical de Castorp ressemble beaucoup à celui de Nietzsche: Carmen, dressée en contrepoint du Wagnerisme, et sans crier gare les operas-bouffes, Nietzsche aimait beaucoup La Mascotte d’Audran selon les lettres à Peter Gast. Que Wagner paraisse absent de ce recensement situerait si c’est le cas Mann dans la mouvance des lecteurs du Crépuscule des Idoles, ou du cas Wagner.
Il faudrait aussi s’intéresser aux occurrences de Faust, les musicales et les autres, mais je m’arrête là.
Bien à vous.
MC
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Jamais vu cette contribution sur Tannhäuser,Court.,désolé.
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Il me semble qu’une contribution sur Mann et Tanhauser a du disparaitre, ou me trompé-je?sais pas
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Jazzi .Non, Castorp n’est pas tout à fait Mann . Car Mann met toujours une certaine distance et refuse toute idée d’autobiographie directe . Sur le plan social, il fait de Castorp un jeune ingénieur,un scientifique, mais sur le plan sexuel, l’auteur se rapproche de lui étant donné son expérience au lycée et sa son homosexualité latente .Mann se projette aussi dans le docteur Behrens car notre cher Thomas a souvent dit qu’il aurait voulu être médecin ou psy, d’où l’énorme documentation médicale qui structure le roman.. Enfin son frère Heinrich a inspiré en partie Settembrini.
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Belle récension ascensionnelle de la Montagne magique, Paul.
Thomas Mann aurait-il pu dire que Hans Castorp c’est lui ?
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Sauf que, si ma mémoire est bonne, Elisabeth s’interpose entre le Vénusberg et Tannhäuser…Ce n’est pas le cas ici, il y a donc renversement, je crois. Là ou les choses convergent, c’est que le Vénusberg est un lieu hors du temps. Rejoindre le temps de la pénitence , de l’expiation, c’est quitter la Montagne. Tannhäuser le fait, Castorp ne le peut pas.
Les deux se heurtent aux institutions: Sana d’un coté, Eglise de l’autre. Les figures d’autorité sont présentes (Pape, médecin etc) mais dans le second cas, laïcisées. Elles partagent toutes deux, avec de fortes nuances, leur meme incapacité à comprendre le monde intérieur du héros.
Chauchat est une Vénus demi-mondaine, la seule peut-être qui reste en ces temps ou on se presse de collecter un folklore et une mythologie mourantes. Et Castorp en est le chevalier démonétisé. Un Tannhäuser malade, en quelque sorte;
Ce leit-motiv de la mort de la féérie se trouve en cette fin de siècle notamment chez Lorrain: « La Dernière Fée est morte entre les pages d’un roman de Mr de Balzac ».Il y a peut-être de ça ici également, en arrière-plan.
Bien à vous.
MC
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