« Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. »
Au mois de janvier 1952, Roger Blin cherche un théâtre pour monter la pièce de Beckett « En attendant Godot ».
Le 17 février 1952, il est prévu que dans l’émission de la RTF « Entrée des auteurs », dont le jeune Michel Polac est le producteur, que cette pièce –encore jamais montée ni publiée – doit être lue , enregistrée . Polac demande donc fin janvier à Beckett de donner quelques indications sur cette pièce si étrange et qui serviraient d’introduction à la lecture par des comédiens.
Voici la réponse de Beckett à Michel Polac . Ell est rédigée en français:

« Vous me demandez mes idées sur « En attendant Godot », dont vous me faites l’honneur de donner des extraits au Club d’essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. C’est admissible.
Ce qui l’est sans doute moins, c’est d’abord, dans ces conditions, décrire une pièce, et ensuite, l’ayant fait, de ne pas avoir d’idée sur elle non plus. C’est malheureusement mon cas. (..) Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l’ai écrit.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu’ils disent, ce qu’ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j’ai dû indiquer le peu que j’ai pu entrevoir. Les chapeaux melons par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les Esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo et Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaitre un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi.
Eux et moi nous sommes quittes. »
*
Cette lettre claire et nette est extraite du volume II des lettres de Samuel Beckett(1941-1956).
Cette merveilleuse édition comporte 4 volumes. Les lettres manifestent toutes cette nudité de langage qui frappe tant dans ses œuvres. Il écrit de la même encre pièces, romans, » textes pour rien », et lettres pour quelque chose.
Le résultat- est saisissant. Le volume IV présente le dernier Beckett, le célèbre , celui d’avant et après le Nobel obtenu en 1969.Ce volume de 948 pages s’achève l’ année de sa mort en 1989, à 83 ans.
L’ensemble est assez fumant, sidérant. Cette correspondance t nous fait rencontrer l’homme au quotidien, aussi insolite, à l’écart, obstiné, souterrain et solitaire, mais soudain avec accents chaleureux avec quelques-uns de ses amis
Ses lettres le révèlent aussi insituable que ses personnages .Lettres au ton âpre, sec, net, puissant, comique parfois, ton tranchant. Elles permettent de comprendre cet univers privé de toute béquille métaphysique et de tout réconfort philosophique. Vers la fin de sa vie, on découvre un stoïcisme d’un minimalisme d’une grande dignité. Il faut absolument prendre connaissance de ce travail d’équipe qui fait honneur à la Maison Gallimard, à l’heure où les Editions de Minuit sont désormais dans le giron gallimardesque. Maurice Nadeau -qui a fait beaucoup pour faire connaitre Beckett dans ces années d’après-guerre -avait raison d’écrire « ce qu’il montre c’est l’homme privé de toute illusion ». Les traductions sont de André Topia , les abondantes notes qui révèlent toute une époque sont de George Craig, de Martha Dow Fehsenfeld, Dann Gunn et de Lois More Overbeck.
Pierre Assouline dans « la république des livres » a largement commenté et insisté sur l’importance de ces lettres ; on doit s’y reporter.
Que voulez-vous, Paul Edel, je ne voulais pas me répéter sur le Théâtre d’Aymé!
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Pas étonnant, Paul !
Entre Marcel et Jean-Paul, une différence essentielle, le bien aimé est plein de cette humanité qui manque cruellement à cette noix de coco de Sartre, dur dehors, vide dedans !
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9 commentaires pour Marcel Aymé, 58 pour » les mains sales » de Sartre.. Mon pauvre Marcel Aymé, moi je t’aime et te relis et tu me rends gai..
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je suis en train de lire » …et la fête continue », d’Yves Gibeau, qui se passe en 1943 à marseille. Un livre secouant. et visiblement,autobiographique..Et comme je vais bientot en parler, j’ai trouvé ce court extrait d’un film de Gérard Rondeau.
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Certes, il ne reste que des Fragments d’Héraclite, mais Marcel Conche les fait vivre, et bien vivre, le bougre !
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Vu ce qu’il reste d’Héraclite, des fragments, on peut ne pas souhaiter le même sort à Godot!
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Vu ce qu’il reste d’Héraclite, essentiellement fragmentaire, on peut ne pas souhaiter le même sort à Godot…
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@ On a l’Eschyle qu’on mérite.
… Sûr que l’échine à bon dos ! Bàv MC
(en théàt’, j’y connais rin, comme disait mon Bikét…),
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VLADIMIR : Ça a fait passer le temps.
ESTRAGON : Il serait passé sans ça.
extrait de « En attendant Godot »
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Hors Oh les Beaux jours, je ne vois pas ce qu’on peut sauver. Surement pas La Dernière Bande, ou les générations actuelles devront se pencher sur les rôles du magnétophone et de l’Alzheimer combinés…Mieux que Sartre, ça n’aurait pas de peine! Est-ce une raison pour en faire un titan théatral? On a l’Eschyle qu’on mérite.
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http://www.gallimard.fr/Contributeurs/Samuel-Beckett
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Stalin disait, à juste titre : « Sartre ? Combien de division…. »
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Jazzi, bonne remarque. « Les mains sales » est écrite en 1948 et « En attendant Godot » fut écrite un an plus tard en 1949! La pièce de Sartre a vieilli et celle de Beckett est étincelante comme si elle avait été rédigée aujourd’hui aussi bien que du temps d’Héraclite.
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Comme il m’est impossible de prendre plaisir à lire d’épais ouvrages de correspondance dont ceux rassemblant les lettres de Beckett tant je suis occupé à des actes plus terre à terre, j’avoue avoir pris un immense plaisir à lire celle proposé par notre aimable taulier. Quelle expression singulière !
Mille mercis Paul !
Soyez sincèrement remercié par un bolo standard en quête de distractions, papillon adorant voleter de-ci delà, au gré de sa fantaisie…
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Beckett vieillit mieux que Sartre, son théâtre est de moins en moins daté !
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et les décors, de Roger Hardt ?… Beckett ne savait point… Un film a récemment montré le sens qu’avait l’attente de Godot pour un certain nombre de taulards…Samuel aurait dit, du temps de cette expérience (en Suède)…, eh bé, on l’aura pas écrite pour rien.. ou quelque chose du genre.. Grand modeste et décalé…
Polac sévissait déjà en 52 ?… Mon dieu mon dieu, j’étions même pas né… ! Ce recueil de lettres, vaut de détour je crois bien !… Merci d’avoir rappelé la ferveur et la témérité de notre Maurice Nadaud qui le fit advenir… Un beau papier, Paul.
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